On se croise souvent sans vraiment se connaître.
Vous entendez “il va chez l’orthophoniste toutes les semaines”, vous voyez parfois un bilan passer, mais ce qui se passe au cabinet reste flou.
L’idée de cet article est simple : savoir à quoi sert l’orthophonie pour vos élèves, ce que vous pouvez en attendre… et ce qui restera malgré tout de votre ressort en classe.
1. L’orthophoniste fait-elle du soutien scolaire?
L’orthophoniste est un professionnel de santé.
Notre boulot n’est pas de “refaire les leçons” ou de “rattraper le programme du CE2”.
Nous évaluons s’il existe un trouble du langage oral, du langage écrit ou de certaines fonctions qui y sont liées (mémoire verbale, attention, fonctions exécutives). Ensuite, on met en place un soin avec des objectifs thérapeutiques, comme un kiné le ferait pour une épaule douloureuse.
Vu de la classe, ça donne parfois : “il va chez l’ortho depuis des mois et il fait toujours des fautes”.
En réalité, nous travaillons sur la mécanique interne. Vous, vous travaillez sur les savoirs scolaires. Si on attend de l’orthophoniste qu’il “remonte la moyenne”, on se trompe de registre.
2. Soin, rééducation, compensation : quelles différences ?
On utilise souvent ces mots sans vraiment les distinguer. Pour vous, la différence change beaucoup la manière de voir l’élève.
Le soin orthophonique, c’est le cadre global. Tout commence par un bilan : entretien avec la famille, passation de tests, observation. De là, on pose un diagnostic orthophonique, on définit un projet thérapeutique et on suit l’enfant dans le temps.
La rééducation (ou prise en charge ou prise en soin ou suivi [oui nous sommes un peu insupportables]), c’est le contenu des séances. On va cibler des mécanismes précis : la conscience phonologique, le décodage, le vocabulaire, la construction de phrases, les stratégies de compréhension, la mémoire verbale… On répète, on varie les supports, on complexifie progressivement. Ce n’est pas spectaculaire, mais ça modifie la manière dont l’enfant traite le langage.
La compensation, c’est ce qu’on met en place quand le trouble reste durablement présent. On ne peut pas “effacer” une dyslexie sévère, par exemple. En revanche, on peut organiser la scolarité pour que l’élève puisse apprendre malgré le trouble : textes adaptés, temps majoré, consignes simplifiées, dictée à l’adulte, ordinateur, etc. C’est souvent ce que vous voyez le plus, alors que tout le reste se joue discrètement en séance.
3. Ce qui relève du cabinet… et ce qui relève de la classe
Au cabinet, on travaille dans un environnement très cadré : peu de bruit, une seule personne, du matériel choisi en fonction du profil. On évalue, on interprète les résultats, on construit un projet de soin, puis on fait de la rééducation ciblée.
En classe, vous faites tout autre chose : suivre les programmes, gérer un groupe de 25 élèves, différencier, évaluer, tenir compte des contraintes institutionnelles et du réel (le fameux “on a contrôle de géométrie demain, qu'on soir dyslexique ou pas”).
Vous ne pouvez pas, et ne devez pas, “faire de l’orthophonie” en classe. En revanche, votre rôle est crucial pour adapter l’environnement pédagogique à un profil cognitif particulier. C’est là que nos actions se rencontrent.
Un exemple concret : un élève lit très lentement.
Au cabinet, on travaille les voies de lecture, les stratégies de décodage, la fluidité.
En classe, vous pouvez réduire la quantité de texte à lire seul, lire certaines consignes à voix haute, regrouper les informations, alléger la copie.
Chacun reste dans son rôle, mais l’élève bénéficie vraiment de la combinaison des deux.
4. Pourquoi les progrès sont lents… et pas toujours visibles immédiatement
De votre point de vue, une année scolaire est courte. Du nôtre, la temporalité est souvent plus longue : repérage, rendez-vous médicaux, bilan, début de la rééducation… puis installation progressive de nouveaux fonctionnements.
Le cerveau ne change pas en dix séances. On ne “reprogramme” pas un système de lecture ou un lexique en quelques mois. Les premières évolutions se voient parfois plutôt dans l’attitude : l’enfant ose plus lire à voix haute, il se met au travail plus facilement, il abandonne moins vite. Vous, vous regardez les notes, les dictées, les productions écrites. Nous, on regarde aussi comment l’enfant s’y prend, quelles stratégies il mobilise, ce qu’il peut faire avec un peu d’aide.
De manière réaliste, un suivi orthophonique bien mené permet souvent :
- une meilleure précision dans certaines tâches,
- des stratégies de lecture, de calcul ou de compréhension plus efficaces, ou un langage plus intelligible et compréhensible
- un investissement plus stable dans le travail scolaire.
En revanche, il est fréquent que la vitesse de lecture reste plus faible, que l’orthographe ne devienne jamais “normale”, et que certains aménagements soient nécessaires pendant longtemps. Ce n’est pas un échec du soin, c’est la nature même des troubles spécifiques.
5. Le compte rendu orthophonique : un document médical qui atterrit souvent… sur votre bureau
Sur le plan théorique, le compte rendu de bilan orthophonique est un document médical. Il est adressé au médecin prescripteur, et parfois au médecin ou à l’infirmière scolaires. Il appartient à la famille, qui choisit à qui elle le montre.
Dans la vraie vie, vous voyez souvent arriver un CR dans la pochette de liaison, accompagné d’un “on a fait le bilan, je vous l’ai mis là”. Vous n’êtes pas le destinataire officiel, mais vous êtes en première ligne pour transformer ces informations en pratiques de classe adaptées.
Votre rôle n’est pas d’interpréter le bilan comme un médecin. En revanche, vous pouvez y chercher les grandes lignes : ce qui est difficile pour l’élève, ce qui reste solide, et les recommandations globales pour la scolarité. À partir de là, vous pouvez ajuster vos attentes, vos consignes, vos modalités d’évaluation. Et, si besoin, avec l’accord des parents, faire remonter des questions à l’orthophoniste.
On prendra le temps, dans un autre article, de détailler comment lire un compte rendu sans se perdre dans le jargon.
6. En bref
Un suivi orthophonique :
- travaille la mécanique interne du langage et de la lecture,
- améliore les stratégies de l’élève,
- diminue le retentissement du trouble,
mais ne gomme pas d’un coup toutes les difficultés.
La classe reste le lieu où l’on apprend les savoirs. Le cabinet reste le lieu où l’on soigne un trouble.
Quand les deux communiquent, l’élève ne devient pas “neurotypique”, mais il a nettement plus de chances de trouver sa place dans les apprentissages.
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