Panier d'achat
Loading

Comment j’utilise (vraiment) l’IA dans ma pratique d’orthophoniste

Je vois passer pas mal de discours très enthousiastes ou au contraire très méfiants sur l'intelligence artificielle. Alors, pour changer, voici une version honnête et un peu désordonnée : comment moi, orthophoniste en chair et en fatigue, j'utilise l'IA au quotidien.


1. Pour les courriers, c'est le bonheur absolu

Les courriers ESS, MDPH, comptes rendus de suivi… Avant, je passais parfois 30 minutes à chercher LA bonne formulation administrative. Aujourd'hui, j'ai une autre méthode.

Concrètement, je fais ça :

  • Je liste mes éléments clés : "Dyslexie mixte confirmée, lenteur majeure en lecture (< P10), besoin de tiers-temps et d'adaptations typographiques"
  • Je précise le contexte : "Demande MDPH pour mise en place ordinateur, enfant en CM2"
  • Je demande : "Rédige un courrier structuré avec introduction, synthèse clinique et demandes argumentées"

L'IA me pond une première version en 30 secondes. Je reprends ensuite pour personnaliser (le ton, les détails précis de la prise en charge, les éléments sensibles), mais le gros du travail de mise en forme est fait.


A noter que ces courriers sont bénévoles ! Nous n'avons pas de rémunération prévue pour les courriers dans notre nomenclature. C'est pourquoi il est indispensable pour nous de gagner du temps.

Gain de temps estimé : 15 à 20 minutes par courrier complexe.


2. Pour mes comptes rendus de bilan : un vrai virage

J'ai d'abord demandé à l'IA d'améliorer mes trames, on a réorganisé pour que ce soit plus clair. J'ai ensuite demandé de m'aider à améliorer ma rédaction. Elle m'a gentiment expliqué que mon style était trop lourd, mes phrases trop longues et mon vocabulaire trop compliqué. Bon. Après la vexation initiale (qui dure encore un peu, soyons honnêtes), j'ai allégé.

Exemple concret :

Avant : "Au terme de cette évaluation approfondie réalisée au moyen d'épreuves standardisées et d'observations cliniques qualitatives, il apparaît que l'enfant présente des difficultés significatives relevant d'un trouble développemental du langage oral avec atteinte prédominante sur le versant expressif..."

Après (avec l'aide de l'IA) : "Le bilan confirme un trouble développemental du langage oral (TDL), à prédominance expressive. Les critères diagnostiques sont réunis : difficultés persistantes depuis la petite section, écart significatif aux épreuves standardisées (lexique < P5, morphosyntaxe < P10), impact fonctionnel en classe."

Aujourd'hui, ma structure est devenue systématique :

  1. Le diagnostic en une phrase
  2. Les critères diagnostiques en gras (pour que ça saute aux yeux)
  3. Les axes de travail prioritaires (3 maximum)
  4. Les points forts du patient (parce que c'est aussi notre job de les voir)

Résultat : Plus clair pour les parents, plus lisible pour moi, et un vrai gain de cohérence entre mes bilans. Les retours des familles ont changé : "Merci pour le compte-rendu je n'ai aucune question il était très clair"


Encore une fois, nos bilans sont rémunérés 84 euros pour la.plupart et 104 euros pour les bilans neuro. Cela comprend l'anamnèse, la passation et la rédaction du CR. Environ 2h30-3h de travail. Je vous laisse calculer le taux horaire. C'est pourquoi la simplification de nos écrits est primordiale tant que ceux-ci n'auront pas été revalorisés.


3. Pour les adaptations scolaires

Quand un enseignant ou un médecin scolaire demande des aménagements, je décris le profil de l'enfant et je demande à l'IA : "Quelles adaptations pertinentes pour ce type de difficultés ?"

Mon prompt type :

"Enfant de 9 ans, dyspraxie visuo-spatiale, lenteur graphique majeure, fatigabilité importante, bonnes compétences orales. Quelles adaptations concrètes et réalistes en classe de CM1 ?"

Ce que l'IA me renvoie :

  • Réduction de la quantité d'écrit (photocopies)
  • Usage de l'ordinateur avec correcteur
  • Évaluations orales privilégiées
  • Temps supplémentaire pour les exercices écrits
  • Placement près du tableau

Elle me donne des idées souvent justes, parfois trop générales ("adapter les consignes"), mais toujours une base utile que je peux ensuite personnaliser selon la réalité de la classe et de l'enfant.

Mon ajout perso : Je transforme chaque adaptation en objectif mesurable. Au lieu de "adapter les consignes", j'écris "limiter à 2 consignes par exercice, numérotées".


4. Pour la culture générale en séance

"Quel âge a Eddy Mitchell ?" "Quelle est la ville natale de Clémenceau ?" "C'est quoi la capitale du Bhoutan ?"

Je ne vais pas faire semblant : Gemini m'évite de perdre dix minutes à chercher sur Google pendant que le patient attend. Un petit coup d'IA sur mon téléphone à qui je pose la question à l'oral, et je peux revenir à ma séance sans casser le rythme.

Cas d'usage typique : Séance de langage oral avec un ado, on travaille sur l'argumentation à partir de l'actualité. Il me parle d'un événement que je ne connais pas. Hop, vérification rapide, et on peut continuer la discussion de manière éclairée.


5. Pour la correction de fautes

Pour mes patients… et pour moi aussi 😅

Mode d'emploi simple :

  • Je copie-colle mon texte (lettre de motivation d'un patient lycéen, mon propre courrier avant envoi)
  • Je demande : "Corrige l'orthographe et la grammaire, signale les erreurs"
  • Je vérifie les corrections proposées (parce que l'IA peut aussi se tromper)

Une relecture rapide avant d'envoyer un compte rendu, ça sauve parfois la crédibilité du thérapeute. Et pour mes patients dysorthographiques, c'est un outil d'autonomisation : ils apprennent à se relire avec un assistant, pas à déléguer bêtement.


6. Pour les fiches de synthèse d'articles

Je lis mes articles scientifiques, puis je copie-colle le texte et je demande à l'IA une fiche de synthèse claire et concise.

⚠️ Mais APRÈS lecture, pas avant : sinon, contresens garanti.

Anecdote récente : La semaine dernière, j'ai testé sur un article sur la mémoire de travail. L'IA m'a inventé un raisonnement inverse à celui de l'auteur, affirmant que les entraînements cognitifs avaient un effet transfert alors que l'article concluait l'inverse.

Ma méthode sécurisée :

  1. Je lis l'article en entier
  2. Je note mes propres conclusions
  3. Je demande à l'IA sa synthèse
  4. Je compare et je rectifie si besoin
  5. J'utilise la version IA comme aide-mémoire, pas comme vérité scientifique

Prompt efficace :

"Synthétise cet article en 5 points : objectif, méthodologie, résultats principaux, limites, implications cliniques"

7. Pour les troubles alimentaires pédiatriques

C'est devenu un vrai allié dans ce domaine complexe. Quand je décris les textures que l'enfant accepte ou refuse, l'IA m'aide à analyser la cohérence sensorielle et à orienter le plan thérapeutique.

Exemple d'utilisation :

"Enfant de 4 ans qui accepte : yaourts, compotes, purées lisses. Refuse : morceaux, textures mixtes, crudités. Pas de problème de mastication. Analyse sensorielle ?"

Réponse type de l'IA : "Profil cohérent avec une sensibilité tactile orale. Les textures acceptées sont homogènes et prévisibles. Les refus portent sur les textures hétérogènes (mixtes) et les éléments qui demandent un traitement sensoriel complexe. Progression suggérée : textures moulinées puis écrasées avant les morceaux."

Très pratique pour objectiver certaines hypothèses cliniques et proposer une progression logique aux parents. Mais attention : ça reste une aide à la réflexion, pas un diagnostic automatique.


Là où je n'utilise PAS l'IA

❌ Pour la rédaction complète de comptes rendus

L'IA manque encore de finesse dans l'analyse clinique. Elle ne capte pas les nuances, les implicites, les observations subtiles qui font toute la différence. Et je n'ai aucune envie de lui déléguer ma réflexion professionnelle.

❌ Pour les problèmes de maths

Catastrophique, à fuir. Les raisonnements sont souvent faux, les étapes sautées, les résultats inventés. Pour les mathématiques avec mes patients dyscalculiques, je m'en tiens à mes propres ressources.

❌ Pour la création d'exercices illustrés

Les idées sont bonnes ("créer un loto des émotions", "faire un jeu de séquences temporelles"), mais la mise en forme prend encore trop de temps. Entre générer les images (souvent ratées), les mettre en page, les adapter... je suis plus rapide avec Canva ou mes propres outils.

❌ Pour la bibliographie

Elle a une fâcheuse tendance à inventer des sources ou à citer des articles de 1992 comme s'ils étaient de 2023.

Cela dit, avec le bon prompt, on peut l'obliger à creuser et trouver des références sérieuses :

"Trouve 5 articles scientifiques récents (2020-2024) sur l'efficacité de la rééducation phonologique dans la dyslexie. Donne auteurs, année, titre et journal. Vérifie que ces articles existent réellement."

Même avec cette précaution, je vérifie TOUJOURS sur Google Scholar ou PubMed.


En résumé

L'IA, pour moi, c'est un assistant rédactionnel et analytique, pas un cerveau de remplacement.

Elle m'aide à :

  • Gagner du temps sur les tâches administratives
  • Clarifier mes écrits (et à accepter que mon style n'était pas aussi limpide que je le croyais)
  • Explorer des pistes que je n'aurais pas envisagées seule
  • Me remettre en question sur ma façon de formuler les choses

Mais le diagnostic, la clinique, l'observation fine, la relation thérapeutique, l'humain : ça reste mon domaine.

Et franchement ? Ça me va très bien comme ça.


Et vous, comment utilisez-vous l'IA dans votre pratique ? Ou au contraire, qu'est-ce qui vous en empêche ? N'hésitez pas à partager en commentaires.