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La compréhension écrite : ce moment où on sait qu’il faut y aller… mais où on hésite quand même

Il y a une scène qui se répète souvent dans mon cabinet.


Un enfant TSLE, 10, 12, 14 ans… ça varie. On a travaillé l’orthographe pendant des mois, parce que c’était nécessaire, parce qu’il fallait construire un socle, parce que sinon l’écrit ressemblait à un champ de bataille après un orage. Et malgré tout ce temps, malgré les efforts, malgré les petites victoires, il reste des fautes. Toujours. Des fautes têtues, collées au texte comme du chewing-gum sous une semelle.

Et c’est là que ça devient difficile.


Parce que tant qu’il reste des fautes, on se dit qu’on ne peut pas “lâcher”.

On se dit que si on passe à autre chose, on abandonne.

On se dit que ce n’est pas “fini”.

Sauf que chez les TSLE, ce n’est jamais vraiment fini.

On améliore, oui. On consolide, oui. On outille, bien sûr. Mais l’orthographe n’atteint pas soudain un niveau où l’on pourrait dire “voilà, c’est bon, on passe à la suite”.

Et ça, c’est un piège.

Un piège pour nous, pour les enfants, pour les parents.


Parce que pendant qu’on remet de l’encre sur l’accord du participe passé, la compréhension écrite, elle, reste dans l’ombre. On l’ouvre de temps en temps, presque comme une parenthèse, un petit détour quand on ne sait pas quoi faire en séance.

Sauf qu’elle mériterait d’être le cœur du travail, pas la marge.


Je pense à une ado que je suis encore. Elle lit bien. Vraiment bien. Si on s’arrête au décodage, on pourrait croire qu’elle n’a plus besoin de nous. Mais dès qu’on discute du texte, je vois le même schéma : elle me raconte ce qu’elle a lu… mais ce n’est pas vraiment ce qui était écrit. Elle remplit les blancs avec ses hypothèses, elle interprète à côté, elle manque les liens logiques, elle prend un détail pour l’idée principale. Et elle le fait avec sincérité, avec application. Elle croit vraiment avoir compris.


Et c’est là que la compréhension écrite est la plus exigeante : elle ne se voit pas.

Personne ne lui dit “tu as fait une faute”.

On ne peut pas entourer en rouge.

On ne peut pas compter.


C’est un travail invisible. Il faut discuter, questionner, reformuler, confront­er. Il faut décortiquer des raisonnements qui, pour beaucoup d’élèves, sont encore en construction.


Les recherches récentes le confirment — sans surprise pour nous : ce n’est pas parce que la lecture est fluide qu’elle est comprise. La compréhension dépend énormément du langage oral, des connaissances du monde, de la capacité à faire des liens, à inférer, à capter les intentions. Ce que je vois tous les jours.

Mais la vraie difficulté, elle est là : oser dire stop à l’orthographe même quand les fautes sont encore là.


Oser dire : maintenant on change de direction.

Oser dire : la compréhension écrite n’est pas un petit module additionnel.

Oser dire : vous aurez toujours quelques fautes, mais ce n’est pas ça qui limitera vos apprentissages.


Pour les parents, ce n’est pas évident non plus. Ils voient bien que les erreurs persistent, qu’elles agacent les profs, qu’elles plombent les copies. Ils se demandent pourquoi on “arrête” alors que ce n’est pas parfait. Je comprends cette inquiétude, vraiment. En même temps, avec l'essor de l'IA qui corrige des textes entiers, nos téléphones qui proposent les mots déjà écrits, les vocaux, les traitements de texte automatisés, est ce que l'orthographe est encore une compétence primordiale?



Je vois aussi autre chose : des enfants qui savent lire et n’arrivent pas à comprendre une consigne de deux lignes. Des élèves qui lisent un texte entier sans en saisir les enjeux. Des ados qui se débattent avec l'implicite, comme si on leur demandait de trouver l’exit d’un labyrinthe sans leur donner la carte.


Et dans la vie quotidienne, c’est la compréhension écrite qui fait tout : comprendre un formulaire, un mail, une instruction, même un résumé produit par une IA. Parce que pour vérifier un résumé, il faut pouvoir repérer ce qui manque, ce qui compte, ce que l’IA a interprété.


Sans compréhension solide, la technologie ne compense rien.

Elle camoufle. Elle simplifie. Mais elle n’explique pas.

Alors oui, il y aura toujours des fautes.

Oui, ça pique un peu de passer à autre chose alors que le texte n’est pas encore “propre”.

Oui, c’est un choix qui bouscule.

Mais c’est aussi un choix professionnel.

Un choix nécessaire.

Un choix qui dit : “L’objectif, ce n’est pas seulement d’écrire juste.

L’objectif, c’est de comprendre. De penser. De lire le monde.”


Et souvent, le jour où je prends le temps d’expliquer ça aux familles, je vois un soulagement.

Comme si enfin, on arrêtait de courir après une illusion de perfection pour se concentrer sur une compétence vivante, utile, profondément structurante.


La compréhension écrite n’est pas un luxe.


Ce n’est pas l’étape “quand on aura le temps”. C’est une priorité. Et il faut parfois accepter de laisser quelques fautes survivre pour pouvoir travailler ce qui, vraiment, fera la différence.