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La métacognition en orthophonie : un levier thérapeutique pour les TDL, TSLE et TDAH

Quand nos patients deviennent les architectes de leurs propres stratégies


Combien de fois avons-nous entendu : "Il sait faire en séance mais n'y arrive plus à la maison" ? Ou encore : "Elle comprend quand je lui explique mais ne peut pas l'expliquer à son tour" ?


Ces situations nous interpellent sur un enjeu fondamental : comment aider nos patients à devenir autonomes dans leurs apprentissages et à transférer leurs acquis dans leur quotidien ?


La métacognition, cette capacité à "penser sur sa propre pensée", représente un outil thérapeutique puissant et scientifiquement validé pour répondre à ces défis.

Particulièrement pertinente pour les enfants et adolescents présentant un TDL, un TSLE ou un TDA/H, elle constitue un véritable pont entre nos interventions ciblées et l'autonomisation du patient. Et l'autonomie du patient, c'est le Graal de toute orthophoniste, non?


Qu'est-ce que la métacognition ?


Définition


La métacognition est l'acte de pensée qui permet à l'individu d'apprécier, d'évaluer, de juger ses capacités mentales et qui lui sert à planifier ses interventions. Plus simplement, la métacognition consiste à avoir une activité mentale sur ses propres processus mentaux, c'est-à-dire « penser sur ses propres pensées ».


En orthophonie, cette notion revêt une dimension particulièrement riche car elle englobe trois composantes essentielles :


1. Les connaissances métacognitives : les représentations que l'on se fait de notre personnalité, nos forces, nos faiblesses, notre façon d'apprendre. Il s'agit également de la connaissance de la tâche (sa nature, son contexte, son utilité) et des stratégies cognitives disponibles.

2. Les stratégies métacognitives : de deux ordres et s'effectuent consciemment. On parle, en premier lieu, de suivi ou de « monitoring » métacognitifs et, en second lieu, de contrôle ou de « régulation » métacognitifs.

3. Les expériences métacognitives : le « produit du processus de monitoring de la cognition », soit les émotions et sentiments qui émergent pendant l'activité cognitive.


Un exemple concret : Léa et les mots outils


Léa, 8 ans, présente un TDL avec des difficultés d'accès lexical. Pendant une séance, elle doit retrouver des mots-outils dans un texte. Traditionnellement, nous travaillerions sur l'identification visuelle, la mémorisation, les stratégies de recherche.


Avec une approche métacognitive, nous ajoutons une dimension :

  • Avant la tâche : "Léa, comment vas-tu t'y prendre pour retrouver ces mots ? Qu'est-ce qui t'aide habituellement ?"
  • Pendant la tâche : "Que ressens-tu là ? Ta stratégie fonctionne ? Si c'est pas le cas, est ce qu'il faut changer de stratégie ?"
  • Après la tâche : "Qu'est-ce qui a bien marché ? Qu'est-ce qui était plus difficile ? Comment pourrais-tu utiliser cette stratégie dans tes devoirs ?"


Cette approche transforme Léa de simple exécutante en véritable stratège de ses apprentissages, capable de s'auto-évaluer et de s'adapter aux situations nouvelles.


Les preuves scientifiques : que nous dit la recherche ?


Métacognition et efficacité des apprentissages


Depuis les années 1990, la capacité métacognitive est apparue d'un grand intérêt dans l'efficacité des apprentissages. Quand elle a pu être évaluée, la corrélation était importante avec la réussite des études.

Plus spécifiquement, plusieurs chercheurs sont d'accord pour affirmer qu'une fois la vitesse de décodage contrôlée, la métacognition est le facteur qui influence le plus la compréhension de lecture. Cette donnée est particulièrement pertinente pour nos patients TSLE !


Preuves d'efficacité en orthophonie


L'efficacité de l'approche métacognitive en orthophonie repose sur plusieurs études probantes :


En compréhension de lecture : la recherche démontre qu'un enseignement explicite des stratégies métacognitives améliore considérablement la compréhension de texte des élèves et permet l'enrichissement du vocabulaire pour exprimer sa pensée.

En accès lexical : Les interventions faisaient aussi appel à la métacognition pour amener l'enfant à identifier les stratégies les plus efficaces pour lui dans une étude contrôlée randomisée sur l'intervention en accès lexical.

Pour les patients TDAH : Le plan d'intervention métacognitive proposé par les auteurs découle des travaux québécois de P-P Gagné (méthode Réflecto). Il s'agit « d'actualiser le potentiel métacognitif des enfants TDAH et de favoriser le développement de leurs habiletés d'auto-régulation ».


Transfert et généralisation


L'un des atouts majeurs de l'approche métacognitive est qu'elle favorise le transfert des apprentissages. la métacognition est nécessaire pour assurer le transfert des apprentissages, ce qui répond à l'une de nos préoccupations cliniques majeures.


Pourquoi la métacognition est-elle particulièrement pertinente pour nos populations ?


TDL : Compenser les difficultés langagières

Les enfants présentant un TDL sont plus à risque de présenter des difficultés dans les apprentissages (accès à la lecture, maitrise du nombre…) ainsi que des difficultés attentionnelles. La métacognition permet de :

  • Développer des stratégies de compensation conscientes
  • Améliorer l'autorégulation langagière
  • Renforcer l'estime de soi par une meilleure compréhension de ses propres fonctionnements


TSLE : Optimiser les stratégies de lecture

En lecture, les processus métacognitifs servent à guider la compréhension; ce sont eux qui font que le lecteur est en mesure de s'ajuster au texte et à la situation.


TDAH : Améliorer l'autorégulation

Le fait d'intervenir sur les fonctions supérieures (prise de conscience, appropriation et adoption de stratégies) améliorerait indirectement les capacités attentionnelles et les fonctions exécutives. L'approche métacognitive représente donc une stratégie "top-down" particulièrement adaptée aux défis attentionnels.


Applications pratiques en séance d'orthophonie


1. Orthographe : L'entretien métagraphique

Principe : L'entretien métagraphique est un outil précieux. L'ortho demande à l'élève de commenter certaines graphies qu'il a choisies dans son texte, encourageant ainsi la réflexion sur ses choix orthographiques.


Application concrète :

  • Après une dictée, demander : "Peux-tu m'expliquer pourquoi tu as écrit 'mangé' avec un 'é' ?"
  • Encourager la verbalisation : "Qu'est-ce qui t'a fait penser à cette règle ?"
  • Développer l'auto-correction : "Comment peux-tu vérifier que c'est correct ?"


Exemple avec Thomas, 11 ans, TSLE : Thomas écrit "Les enfants on jouer". Plutôt que de corriger directement, nous engageons un dialogue métacognitif :

  • "Thomas, peux-tu me relire cette phrase ?"
  • "Est-ce que quelque chose te gêne quand tu la relis ?"
  • "Comment peux-tu vérifier si 'on' est le bon mot ici ?"
  • "Quelle stratégie vas-tu utiliser la prochaine fois pour éviter cette erreur ?"


2. Mémorisation : La métamémoire en action

Objectif : l'amener à construire des compétences métamnésiques pour optimiser les stratégies de mémorisation.


Stratégies pratiques :

  • Avant l'apprentissage : "Comment préfères-tu apprendre ? En répétant, en écrivant, en faisant des dessins ?"
  • Pendant l'apprentissage : "Sens-tu que tu retiens bien ? Faut-il changer de méthode ?"
  • Après l'apprentissage : "Qu'est-ce qui t'a aidé ? Que feras-tu différemment la prochaine fois ?"


Exemple avec Sarah, 9 ans, TDL : Sarah doit mémoriser une poésie. Nous explorons ensemble :

  • Sa stratégie spontanée (répétition mécanique)
  • L'efficacité ressentie ("Je n'y arrive pas")
  • D'autres stratégies possibles (visualisation, gestuelle, découpage en unités de sens)
  • L'évaluation de la nouvelle stratégie ("Avec les gestes, c'est plus facile !")


3. Résolution de problèmes : La pensée à voix haute

Principe : Les ortho peuvent modéliser les stratégies de lecture en ayant recours à la « pensée à voix haute ».


Application :

  • Modéliser notre propre réflexion : "Moi, quand je lis ce problème, je me dis d'abord..."
  • Encourager la verbalisation de l'enfant : "Dis-moi tout ce qui se passe dans ta tête"
  • Identifier les stratégies efficaces : "Qu'est-ce qui t'a aidé à trouver la solution ?"


Exemple avec Lucas, 10 ans, TDAH : Problème mathématique : "Dans ma classe, il y a 25 élèves. 12 sont des filles. Combien y a-t-il de garçons ?"

Approche métacognitive :

  • "Lucas, avant de calculer, dis-moi ce que tu comprends de ce problème"
  • "Quelle opération vas-tu choisir ? Pourquoi ?"
  • "Comment peux-tu vérifier que ton résultat est logique ?"
  • "Si tu rencontres un problème similaire, que feras-tu ?"


4. Compréhension de texte : Les stratégies de monitoring

Objectif : La métacognition est particulièrement importante pour la compréhension en lecture.


Techniques :

  • Prédiction : "D'après le titre, de quoi va parler ce texte ?"
  • Monitoring : "Est-ce que tu comprends bien ? Que fais-tu quand tu ne comprends pas ?"
  • Évaluation : "Qu'est-ce qui t'a aidé à comprendre ce passage ?"


Exemple avec Emma, 12 ans, TDL : Lecture d'un texte sur les dauphins :

  • Avant : "Que sais-tu déjà sur les dauphins ? Qu'aimerais-tu apprendre ?"
  • Pendant : "Ce mot 'écholocation' te pose problème. Que fais-tu habituellement quand tu rencontres un mot difficile ?"
  • Après : "Qu'as-tu appris de nouveau ? Quelle stratégie t'a le mieux aidée ?"


Outils et techniques pour développer la métacognition


1. Le questionnement métacognitif

Massonnet (1998) suggère de privilégier les mots « comment » et « quoi » lors des entretiens, et éviter le « pourquoi » qui engendre des explications de causalité et non de description et d'action.


Questions facilitatrices :

  • "Comment as-tu fait pour..."
  • "Qu'est-ce qui t'a aidé à..."
  • "Que ressens-tu quand..."
  • "Quelle stratégie vas-tu utiliser..."


2. Les métaphores et personnifications


L'emploi de métaphores (personnages ou objets) peut aider à donner du sens aux opérations mentales à effectuer.


Exemples :

  • "L'architecte" pour la planification
  • "Le détective" pour la recherche d'indices
  • "Le chef d'orchestre" pour la coordination des stratégies


3. Les grilles d'auto-évaluation


Créer des outils visuels permettant aux patients d'évaluer :

  • Leur compréhension ("J'ai tout compris / J'ai moyennement compris / Je n'ai pas compris")
  • Leur effort ("J'ai fait de mon mieux / J'ai fait des efforts / J'aurais pu faire mieux")
  • Leurs stratégies ("Cette méthode m'a aidé / Cette méthode ne m'a pas aidé")


4. Le carnet de réflexion


Demandez aux élèves de tenir un carnet de réflexion où ils notent leurs réflexions sur leur propre apprentissage. Cela peut inclure des moments de frustration, des stratégies qui ont fonctionné, et des idées pour améliorer.


Intégration dans le projet thérapeutique


Planification de l'intervention

L'ortho doit se préoccuper de la métacognition à toutes les étapes de l'apprentissage : au moment de la phase de préparation, en cours de réalisation d'une tâche et lors de la phase d'intégration.


Phase de préparation :

  • Évaluation des connaissances antérieures
  • Identification des stratégies disponibles
  • Fixation d'objectifs personnalisés


Phase de réalisation :

  • "Surveillance" continue
  • Ajustement des stratégies
  • Gestion des émotions


Phase d'intégration :

  • Évaluation de l'efficacité
  • Planification du transfert
  • Consolidation des apprentissages


Adaptation selon l'âge et les troubles


Pour les plus jeunes (6-8 ans) :

  • Utiliser des supports visuels
  • Privilégier les métaphores concrètes
  • Séances plus courtes et ludiques


Pour les adolescents :

  • Développer l'autonomie
  • Intégrer les enjeux scolaires
  • Favoriser l'auto-évaluation


Spécificités TDAH :

  • Structurer davantage l'approche
  • Utiliser des supports externes
  • Renforcer l'autorégulation


Défis et limites


Obstacles fréquents

  1. La résistance au changement : Certains patients préfèrent l'exécution passive
  2. La surcharge cognitive : Ajouter une dimension métacognitive peut initialement complexifier la tâche
  3. L'aspect chronophage : L'approche métacognitive demande du temps


Solutions pratiques

  • Progression graduelle : Introduire la métacognition petit à petit
  • Adaptation individuelle : Personnaliser selon les capacités et préférences
  • Collaboration avec l'entourage : Impliquer famille et école dans la démarche


Conclusion : Vers une orthophonie métacognitive


L'intégration de la métacognition dans nos prises en charge orthophoniques représente bien plus qu'une simple technique supplémentaire. Elle constitue un véritable changement de paradigme, transformant nos patients d'exécutants passifs en acteurs conscients et autonomes de leurs apprentissages.


La métacognition est un outil puissant pour améliorer l'apprentissage, particulièrement pour nos patients TDL, TSLE et TDAH qui bénéficient grandement de cette approche "top-down" favorisant l'autorégulation et le transfert des acquis.


Les preuves scientifiques sont là, les outils existent, il ne reste plus qu'à les intégrer dans notre pratique quotidienne. Car comme le souligne si justement la recherche, un des meilleurs prédicateurs de la réussite scolaire est justement la capacité de l'élève à réfléchir sur ses connaissances et à comprendre les raisonnements qu'il engage pour utiliser et construire de nouvelles connaissances.


Je vous conseille l'excellente formation en Gestion Mentale et le dialogue cognitif de la LCE Formation, pour ma part j'ai profité de l'expérience et de la gentille d'Anne-Françoise Bouillet. Une bonne base de départ pour découvrir la métacognition. Enfin le livre "Métacognition et Stratégies d'Apprentissages" Ed. Tom pousse, de Rémy Samier et Sylvie Jacques, est un super outil avec des schémas que j'utilise au quotidien (en les simplifiant) avec mes patients.


Alors, prêtes à devenir des "méta-orthophonistes" ? Vos patients n'attendent que ça pour devenir les vrais héros de leurs propres apprentissages !