❓Une question qui revient souvent
Depuis quelques années, j'entends de plus en plus cette question dans mon cabinet. Entre deux exercices de rééducation, mes patients adolescents me parlent de ce qu'ils ont vu sur TikTok, de ce que dit leur YouTubeur préféré, ou d'une info qui tourne sur Instagram. Et souvent, ils me demandent : "Mais toi, tu penses que c'est vrai ?"
Au début, je répondais rapidement, pensant que ce n'était pas vraiment mon domaine. Mais j'ai fini par réaliser que cette question touchait directement à mon travail d'orthophoniste. Parce que comprendre ce qui est vrai ou pas, ça demande les mêmes compétences que celles qu'on travaille ensemble : analyser, structurer sa pensée, argumenter.
🗞️Le défi de trop d'informations
Ce qui me frappe, c'est que mes jeunes patients ont accès à une quantité d'informations incroyable. En deux clics, ils peuvent trouver des milliers de vidéos, d'articles, de posts sur n'importe quel sujet. Mais paradoxalement, ils semblent parfois plus perdus que s'ils n'avaient rien.
C'est un peu comme un enfant dyslexique face à un texte trop long : il y a tellement d'éléments qu'il ne sait plus par où commencer, comment trier, comment organiser. Sauf que là, c'est avec l'information que ça se passe.
🥄Quand tout se mélange
Dans le flot de ce qu'ils voient défiler, mes patients ne font pas toujours la différence entre une info journalistique vérifiée, l'opinion d'un influenceur, une blague ou même de la publicité déguisée. Tout arrive au même endroit, dans le même format, avec les mêmes codes visuels.
L'autre jour, une patiente de 16 ans m'expliquait très sérieusement une théorie qu'elle avait vue sur TikTok. Quand je lui ai demandé qui l'avait dit, elle m'a répondu : "Ben, un mec." Elle ne connaissait ni son nom, ni ses compétences, ni ses sources. Mais l'info était présentée de façon si convaincante qu'elle y croyait.
⏱️La vitesse contre la réflexion
Ce qui me préoccupe aussi, c'est cette course à la vitesse. Sur les réseaux, il faut réagir vite, partager immédiatement, avoir un avis sur tout. Mais moi, dans mon travail, je sais que comprendre et analyser, ça prend du temps. On ne peut pas demander à un enfant de lire un texte complexe en 30 secondes.
C'est pareil avec l'information : pour vraiment comprendre un sujet, il faut pouvoir s'arrêter, réfléchir, comparer plusieurs sources. Mais cette lenteur nécessaire va à l'encontre du rythme imposé par les plateformes.
🐑Appartenir à un groupe
J'ai aussi remarqué que pour beaucoup de mes patients, "croire" à une information, c'est aussi une façon d'appartenir à un groupe. Ils partagent les mêmes références que leurs amis, regardent les mêmes vidéos, répètent les mêmes expressions.
C'est normal à l'adolescence, cette recherche d'appartenance. Mais ça peut les amener à accepter des informations douteuses simplement parce qu'elles viennent de leur communauté en ligne.
😊Ce que je peux faire dans mon cabinet
Petit à petit, j'ai commencé à intégrer ces réflexions dans ma pratique. Pas de façon formelle, mais en saisissant les occasions.
Poser des questions simples : "Qui a dit ça ? Comment il le sait ? Est-ce qu'il y a d'autres avis ?" Je fais ça naturellement maintenant, comme quand je demande à un patient d'expliquer sa pensée.
Ralentir le rythme : J'encourage mes patients à prendre le temps. "Tu n'es pas obligé d'avoir un avis tout de suite. On peut chercher ensemble." C'est le même principe que quand on travaille la lecture : on ne précipite pas, on décortique.
Travailler l'argumentation : Dans les exercices d'expression, je propose parfois des sujets d'actualité. "Explique-moi pourquoi tu penses ça. Quels sont tes arguments ?" Ça les aide à structurer leur pensée.
Accepter le doute : Je leur montre que c'est normal de ne pas tout savoir, de ne pas être sûr. "Moi non plus, je ne sais pas tout. Mais on peut réfléchir ensemble à comment trouver des réponses fiables."
⚒️Des outils concrets
J'ai développé quelques petites techniques que j'utilise spontanément :
- Le "jeu des trois sources" : avant de croire quelque chose, chercher trois sources différentes qui en parlent
- La "pause de 24h" : attendre un jour avant de partager une info qui nous a marqués
- Le "qui parle ?" : toujours se demander qui est la personne qui donne l'information et pourquoi elle le fait
🛑Mes limites et mes questionnements
Je ne suis pas journaliste, ni professeur de sciences. Mon rôle n'est pas d'expliquer tous les sujets d'actualité. Mais je peux accompagner mes patients dans leur façon de réfléchir, de questionner, de structurer leur pensée.
Parfois, je me demande si j'ai le droit de "casser" leurs certitudes. Mais finalement, c'est un peu comme quand on travaille les automatismes en lecture : on déconstruit d'abord pour mieux reconstruire.
🤝Une responsabilité partagée
Cette question de la vérité dans l'information, ce n'est pas seulement mon problème d'orthophoniste. Ça concerne aussi les profs, les parents, les éducateurs. Mais j'ai ma part à jouer.
Dans mon cabinet, je peux créer un espace où mes patients apprennent à ralentir, à questionner, à douter de façon constructive. C'est peut-être l'un des cadeaux les plus utiles que je puisse leur faire pour leur avenir.
✅Pour conclure
Ces réflexions m'ont fait évoluer dans ma pratique. Je ne suis plus seulement là pour corriger la prononciation ou améliorer l'expression. Je participe aussi, à ma façon, à former des jeunes capables de naviguer dans ce monde complexe de l'information.
C'est un défi passionnant, même si ce n'est pas toujours facile. Mais quand je vois un patient qui, spontanément, me dit : "Attends, j'ai regardé sur plusieurs sites avant de te dire ça", je me dis que le travail porte ses fruits.
Et vous, est-ce que vous avez remarqué la même chose dans vos cabinets ? Comment vous y prenez-vous ?
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